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Soude  -   1989-1994

Un paysage stratifié.

 

 

Soude propose la lecture photographique d'une strate historique commune aux paysages d'un territoire donné.

 

Ce projet, réalisé entre 1989 et 1994, est l'étude photographique des vestiges datant du XIXème siècle, des débuts de l'industrie chimique lourde dans les Bouches-du-Rhône.*

 

Sa réalisation a demandé une connaissance approfondie de cette histoire par la lecture des ouvrages alors disponibles sur le sujet, mais surtout par une consultation des archives municipales, départementales et nationales ainsi que des fonds spéciaux de la bibliothèque de la ville de Marseille et de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Marseille..

 

En effet, mon projet n'était pas de photographier quelques ruines pittoresques, évocatrices ou illustratives de cette histoire. Je devais acquérir la capacité de localiser, d'identifier et de comprendre la nature des éléments que je photographiais. Cependant, je ne documentais pas cette histoire, j'actualisais ses traces en livrant des interprétations photographiques.

 

Au delà de son aspect documentaire indéniable, cet ensemble d’images questionne à travers la visibilité de ses vestiges, l’histoire industrielle du territoire. Ce questionnement s’effectue sous des angles croisés.

 

Une systématicité méthodique permet de décliner les différentes approches du paysage: les prises de vue explorent les distances possibles aux motifs. Elles interprètent, d’abord, en plan large, l’organisation de l’espace, les configurations possibles de mises en valeur des rapports entre ses éléments constitutifs. Puis se rapprochant à mi-distance, elles affinent la vision par le choix d’objets dominants rythmant graphiquement des séries. Enfin, le regard devient insistant sur les textures et leurs occurrences. La lecture de ces séries échappe à une linéarité attendue par l'organisation formelle du plan  leur présentation.

 

Les choix d’éclairement dominant varient en fonction des lieux. Par exemple, les ciels couverts de Septèmes, dramatisent cette étrangeté liée à l’organisation des condensateurs dans les vallons. La spécificité des textures, de leurs formes (des tranchées et des conduits par endroit défoncés, courant le long des pentes, recouverts des résidus des fours pour assurer jadis leur étanchéité) associées à leurs caractéristiques tonales (gris moyen des couvrants alternant, lorsqu’il sont effondrés, avec les efflorescences blanchâtres et le noir profond des résidus chimiques), évoquent un type de paysage dont l’esthétique pourrait se rapprocher de la catégorie traditionnelle du sublime. Mais, l’approche d’autres lieux pourraient évoquer celle du pittoresque (Plan d’Aren ou La Madrague Montredon, par exemple).

 

Ainsi, ce qui caractérise ce projet photographique, ce n’est pas tant l’exigence d’un point de vue qui se transposerait de lieu en lieu, de paysage et paysage, mais plutôt le choix esthétique d’une vision multimodale. La proposition ici était de rendre perceptible la stratification du paysage en ramenant à la surface de l’image sa réalité horizontale. En effet, une strate paysagère ne s’inscrit pas dans une profondeur physique ou géologique, mais se présente plutôt comme une rémanence visible de l’action humaine qui a délaissé ou déplacé l’usage territorialisé d’un espace.

 

Le projet présentait une forme de méditation sur la mémoire, l'oubli et le devenir, par des assemblages muraux.

 

Issus de mes précédents travaux, ces assemblages marquent aussi une rupture en se déployant au mur sous la forme d'installation. Chaque image étaient encadrée séparément et pouvait s'accrocher à côté de n'importe quelle autre. Je composais au sol en face des murs une disposition qui ne se voulait jamais définitive car tenant compte des lieux et de la circulation. Ce dispositif m'exerçait à une écriture d'accrochage et d'installation. Cependant quelques assemblages se sont stabilisés. La plupart de ces vestiges se trouvent à l'écart des grandes implantations industrielles (celles-ci ont parfois recouvertes les précédentes) qui marquent les paysages autour de l'Etang de Berre. Dans la continuité de mes travaux précédents, ce regard déplacé sur l'industrie interroge aussi son actualité et son devenir.

 

Un manuscrit d'une quarantaine de page fut rédigé sur cette histoire. Consigner les éléments du processus de réalisation intègre la perspective d'un projet global : inscrire mon travail dans une esthétique réflexive et compréhensive de la représentation des lieux et du territoire.

 

Il s'agissait aussi de sensibiliser les habitants à l'histoire industrielle de leur environnement. Ces traces vont nécessairement disparaître.

Une des spécificités de ma photographie est de constituer un document proposant la compréhension des modalités de sa construction.

Fabrice NEY

avril-novembre 2015

 

 

Le projet initial avait été soutenu par l'EPAREB, La ville de Marseille et la ville de Fos-sur-Mer.

Depuis le tout début des années 90, des historiens ont entamés les recherches nécessaires et des ouvrages ont été édités sur le sujet.

En particulier les travaux de l'historien Xavier DAUMALIN

"Du sel au pétrole"  (Paul Tacussel Editeur, Marseille - 2003).

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